Version initiale rédigée le 28 mai 2021
En signant l’Accord de Paris, la France avec l’appui des entreprises s’est engagée à réduire de 40 % ses émissions de GES d’ici 2030 pour lutter activement contre le changement climatique. Les transports sont une des grandes causes de ces émissions, il est donc indispensable d’initier une transformation forte, rapide et innovante. L’open source hardware peut être une des solutions. En effet, porté par l’accélération de la transition vers l’électrique, le monde de la mobilité connaît aujourd’hui des mutations d’une ampleur absolument inédite (approche modulaire, prévalence de l’usage, diversification extrême des produits et des solutions…) qui requièrent aussi bien des collaborations accrues que l’invention de nouveaux modèles de création de valeur. Nous sommes convaincu·e·s que l’open source hardware est une approche particulièrement pertinente pour répondre à ces défis, ce dont témoigne d’ailleurs l’étonnant essor qu’il connaît actuellement. En s’appuyant sur la puissance et la réactivité des communautés, l’open source montre qu’il peut innover avec souvent plus d’efficacité que ne le font les entreprises au sein d’un écosystème fermé de partenaires. Dans un contexte où les barrières à l’entrée tendent à disparaître, c’est en effet la capacité à animer et agréger des communautés qui devient clé, bien plus que la place que l’on occupe sur la chaîne de valeur.
Au-delà du système d’exploitation Linux, du navigateur Firefox ou de la suite LibreOffice désormais incontournables, ce sont des milliers de solutions open source qui sont utilisées au quotidien par les entreprises. De fait, loin d’être un mouvement libertaire et utopique, l’open source est avant tout une démarche d’innovation aussi efficace que pragmatique, devenue centrale dans l’économie du logiciel et plus largement du numérique(1). La raison principale tient à la capacité de l’open source à être un formidable levier de création de valeur, comme l’ont prouvé chacun à leur manière Google ou Huawei pour ne citer qu’eux.
L’idée n’est pas ici de faire une apologie naïve du modèle open source, encore moins de prédire son inéluctable avènement au détriment des habituelles logiques de propriété industrielle, soutenues par le système de brevets. Les deux modèles sont d’ailleurs, à notre sens, tout à fait complémentaires. Mais, jusqu’ici peu développé dans le monde industriel, l’open source nous semble une démarche particulièrement pertinente pour répondre aux défis que pose la transition vers les nouvelles formes de mobilité.
Ces défis sont désormais bien connus et sont notamment marqués par une double évolution :
- La numérisation du secteur des transports s’est accélérée et l’arrivée de la 5G va amplifier le phénomène. Les véhicules seront demain en communication permanente avec leur environnement, qu’il s’agisse des réseaux d’infrastructure, mais aussi des opérateurs de mobilité et bien sûr des usager·ère·s, d’où la nécessité d’une coopération étroite et approfondie entre une grande diversité d’acteurs.
- L’électrification des véhicules va connaître un essor considérable au cours de la prochaine décennie, soutenue par des technologies désormais mûres, une volonté politique forte de diminution des GES et la demande citoyenne toujours plus affirmée d’une mobilité douce et respectueuse de l’environnement. Or, la conception, la production et l’utilisation de véhicules électriques appellent des innovations majeures en rupture avec les logiques qui ont prévalu jusqu’alors et qui vont fortement impacter la création de valeur. Citons-en deux :
- À la manière des ordinateurs, les véhicules électriques sont de plus en plus conçus autour de « modules » appelés briques technologiques. Cela signifie que l’enjeu et par suite, la valeur ajoutée ne réside pas tant dans la capacité à produire ces briques, qu’à les agencer et les assembler de manière à pouvoir configurer des véhicules beaucoup plus diversifiés et adaptés aux usager·ère·s qu’ils ne le sont aujourd’hui.
- La prévalence de l’usage découle de l’approche modulaire. L’enjeu sera demain de faire évoluer en permanence le véhicule (à la manière des avions de ligne), grâce à une maintenance prédictive, au remplacement des pièces défectueuses et au recyclage de ces pièces et matériaux. De fait, cela favorisera les modèles d’affaires construits sur la maximisation de l’usage et les services, plutôt que ceux basés sur la propriété.
Ces mutations, d’une ampleur considérable, sont lourdes de conséquences autant que d’opportunités. Elles ouvrent un champ d’innovation prodigieux pour nombre d’acteurs, natifs ou non de la mobilité. Mais elles supposent également une réinvention des modèles de création de valeur, en même temps qu’une collaboration accrue entre acteurs.
Or, on touche ici à ce qui caractérise en propre l’open source. Mode de développement collaboratif et décentralisé, l’open source s’appuie sur la puissance et la réactivité des communautés pour résoudre des problèmes avec beaucoup plus d’efficacité, mais aussi de fiabilité que ne le feraient les entreprises avec leurs seules ressources, ou même en écosystèmes fermés. Or, l’ouverture sur les communautés doit se faire dans une logique où tout le monde y gagne : pour le dire autrement, ce que chacun apporte doit permettre aux autres de créer suffisamment de valeur pour qu’en retour, ils en fassent de même et ainsi de suite. Sans ce principe élémentaire de réciprocité qui exclut par définition les passagers clandestins, aucun écosystème open source ne pourra fonctionner durablement.
Le contexte actuel de transition vers de nouvelles formes de mobilité offre des situations de marché dans lesquelles le choix de l’open source présente des avantages considérables :
- L’opportunité de mobiliser un écosystème élargi et complexe (entre acteurs industriels issus d’univers distincts, mais aussi monde de la recherche, autorités organisatrices, utilisateur·rice·s finaux·ales, tissu associatif…) : l’ouverture, outre qu’elle permet de mutualiser compétences et ressources, est ici une manière de faire émerger progressivement, presque pas à pas, l’écosystème le plus pertinent et le mieux adapté aux innovations développées.
- Le besoin de tester, d’expérimenter les technologies en amont de leur industrialisation : cela peut se faire en s’appuyant sur les partenaires, les collectivités et les utilisateur·rice·s de façon beaucoup plus rapide, fiable et économique que si ces mêmes développements étaient réalisés en circuit fermé).
- La nécessité de s’aligner sur les normes et standards technologiques : la démarche open source, à l’inverse d’une approche défensive au travers de brevets, encourage l’adoption rapide par un grand nombre d’acteurs d’un même standard (à l’image de la plateforme de prototypage Arduino). Cela apporte alors la garantie de réaliser les bons choix technologiques, du moins ceux-ci qui vont s’imposer car ils seront adoptés par suffisamment d’acteurs pour créer une masse critique et permettre ainsi le passage à l’échelle, clé d’une réduction des coûts de production et donc promesse d’une meilleure compétitivité des produits et solutions, une fois sur le marché. De plus, cela facilite l’homologation ultérieure de solutions non prévues par les textes réglementaires, cas de figure très courant pour toute innovation de rupture.
- L’intérêt, en écho à la prévalence de l’usage, à encourager la diversification des produits : l’ouverture de leurs interfaces par les acteurs facilite le développement d’une grande diversité de produits à faibles volumes, situation qui correspond déjà en partie à celle des constructeurs invitant les carrossiers à concevoir des aménagements spécifiques sur certains de leurs véhicules, mais qui va prendre une ampleur considérable avec la montée en puissance des opérateurs de mobilité.
L’open source va impacter différemment les différents acteurs de la chaîne de valeur de la mobilité :
- Elle offre une position centrale aux opérateurs de mobilité qu’ils soient privés ou publics et qui, en tant que donneurs d’ordre, peuvent définir un cahier des charges précis concernant les solutions de mobilité qu’ils attendent et ce, par-delà l’offre proposée par les constructeurs.
- Les constructeurs, justement, ont eu tendance au fil des décennies à bâtir des systèmes fermés, tels de véritables forteresses, de manière à mieux circonscrire leur périmètre de responsabilité (liability)(2) et aussi, accessoirement, à rendre leurs client·e·s captifs·ves. Mais ces systèmes fermés s’avèrent peu pertinents, voire peu propices à l’innovation dès lors que le marché dans son ensemble connaît une révolution d’une ampleur inédite qui nécessite à l’inverse une collaboration accrue entre les différents acteurs. Ils garderont certes une place centrale en tant qu’assembleurs, mais ne seront demain plus les seuls à mettre sur le marché des produits finis. Ils devront repenser leur métier, réinventer des axes de valeur différents.
- Les équipementiers, quant à eux, se voient offrir de nouvelles perspectives et notamment celles de remonter dans la chaîne de valeur, de diversifier leurs débouchés, voire de concevoir eux-mêmes des produits finis ou semi-finis.
- Enfin et surtout, l’open source fait sauter un certain nombre de barrières à l’entrée et permet à de nouveaux acteurs de s’aventurer sur des terrains de jeux qui leur étaient jusqu’alors interdits. La possibilité de s’appuyer sur un socle existant de connaissances, amenées éventuellement à devenir autant de commodités, est un remarquable levier d’accélération de la compétitivité en même temps qu’une injonction à trouver de nouveaux axes de création de valeur.
On le voit, la question n’est plus de savoir quelle place on occupe sur la chaîne de valeur, mais bien plutôt d’être capable de s’insérer dans des écosystèmes partenaires, voire de les organiser autour de soi. C’est à l’évidence la démarche qu’a suivie Baidu au travers du projet Apollo et qui lui a permis, en quelques années seulement, de s’affirmer comme un acteur majeur du véhicule autonome. C’est aussi le sens de la MIH Alliance, récemment créée par Foxconn et qui se veut une plateforme favorisant l’innovation et le développement autour des véhicules électriques.
Sans être une solution miracle, l’open source pose un certain nombre de problèmes dont évidemment et en premier lieu la mise en place d’un modèle d’affaires profitable à tou·te·s dans un cadre préservant l’équité et la réciprocité. La perspective de collaborations ouvertes suppose par ailleurs un complexe et parfois douloureux travail d’acculturation qui représente souvent un frein majeur pour des entreprises ayant sacralisé la propriété industrielle pendant des décennies.
Pourtant selon nous, il convient de prendre l’open source pour ce qu’il est, à savoir une formidable opportunité d’accélérer l’innovation en misant sur la force d’écosystèmes partenaires et ce, avec une grande économie de moyens et une meilleure garantie de succès. L’open source, particulièrement efficace pour répondre aux immenses défis que pose la transition vers une mobilité durable, est enfin d’autant plus pertinente qu’elle rentre en résonance avec les aspirations citoyennes marquées, à l’égard des entreprises, par l’attente d’une transparence accrue, du respect de valeurs fortes et fédératrices ou d’engagements plus marqués à servir le bien commun. Si la mobilité zéro émission constitue aujourd’hui cet horizon commun à même de fédérer les 4C (Companies, Countries, Cities et Civil Society), l’open source offre, nous en sommes convaincu·e·s, le cadre le mieux à même d’en permettre un déploiement rapide et efficace.
Par la signature de ce texte, nous prenons les engagements suivants :
- nous rappelons notre attachement à diminuer les GES dans les transports.
- nous reconnaissons la pertinence de l'open source (hardware ET software) dans notre métier / activité comme outil et démarche pour transformer la mobilité pour qu’elle devienne plus durable.
- nous nous engageons à permettre à nos équipes de se former et de monter en compétences sur la conception, l’élaboration et la conduite de projets open source.
- nous nous engageons, collectivement et individuellement à favoriser l'émergence de l'open source au sein de nos organisations et de notre écosystème.
(1): D’après une étude réalisée par le CNLL, le Syntec Numérique et le Pôle Systematic Paris-Region, Teknowlogy Group (anciennement PAC), elle représente aujourd’hui un marché de plus de 25 milliards d’euros en Europe (en croissance de près de 9% par an) porté par la transformation digitale des entreprises et la mise en œuvre de technologies innovantes, comme la blockchain, le data management ou l’IA : https://cnll.fr/news/etude-open-source-2019/
(2): Enjeu d’autant plus crucial que mobilité rime avec sécurité