Article L.111-1 CPI : “L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une oeuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions prévues par le présent code. Sous les mêmes réserves, il n’est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l’auteur de l’oeuvre de l’esprit est un agent de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public à caractère administratif, d’une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale ou de la Banque de France (…) ».
Article L. 112-2, 13° CPI : « Sont considérés notamment comme oeuvres de l’esprit au sens du présent code : (…) les logiciels (…) ».
Les logiciels peuvent donc être protégés par des droit d’auteurs.
Eléments non protégeables :
- Exclusion de l’idée[fn:1]
- Exclusion de l’algorithme et du langage de programmation[fn:2]
- Exclusion des fonctionnalités (les objectifs que le logiciel vise à atteindre)[fn:3]
/NB : les programmes d’ordinateur sont exclus de toute brevabilité en principe/[fn:4].
Eléments protégeables, selon deux sources juridiques :
- droit commun du droit d’auteur : documentation auxiliaire, les effets audiovisuels (forme exécutée du logiciel), les interfaces graphiques[fn:5] ;
- droit spécial du droit d’auteur applicable au logiciel : pour le code source (mais aussi le code objet, l’organigramme, etc) → directive n°91/250, remplacée par la Directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur.
Arrêt Pachot (1986)[fn:6] : l’originalité du logiciel est caractérisée si il est constaté un « effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort résidait dans une structure individualisée », il faut donc un « apport intellectuel » de l’auteur.
Il faut une création de logiciel faite de manière indépendante pour jouir de droits d’auteur : si la création a été réalisée par plusieurs auteurs travaillant en commun, poursuivant un objectif partagé, elle sera considérée comme une œuvre de collaboration et les droits sur cette dernière seront indivis[fn:7].
Il est possible de procéder à une cession du droit d’exploitation, et de la rémunération en découlant.
En principe, il faut une rémunération proportionnelle aux recettes générées par la vente ou l’exploitation de l’œuvre. Mais en matière de création logicielle, la rémunération forfaitaire est autorisée si elle est juste[fn:8].
En l’absence de dispositions spécifiques, la réalisation d’une œuvre, de manière générale, dans le cadre d’un contrat de commande ne transfère au commanditaire que la propriété matérielle sur cette réalisation, et non un droit d’exploitation[fn:9].
Il est donc non seulement possible mais aussi nécessaire pour l’administration de procéder à des contrats de cession de droit d’auteur lorsqu’elle recourt aux services d’un tiers.
Cas de la création logicielle salariée : Art. L. 113-9, al. 1er, CPI dispose que « sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer ».
Ainsi, les droits de l’auteur salarié sont automatiquement transférés à l’employeur, y compris pour les agents publics.
Attention : cette dévolution forcée ne concerne que les éléments du logiciel qui sont soumis au droit spécial et ne vise que les droits patrimoniaux.
L’auteur reste donc toujours investi d’un droit moral sur son œuvre. Le droit moral dans le régime général confère à l’auteur le respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Il est constitué des prérogatives suivantes : droit de divulgation, le droit de paternité, le droit au respect de l’intégralité de son œuvre, le droit de retrait ou de repentir. Lorsque l’auteur du logiciel est un salarié ou un agent public, le droit moral couvre uniquement le droit de divulgation et le droit de paternité.
Pour bénéficier de cette disposition spéciale, l’œuvre doit avoir été créée par l’agent public dans l’exercice de ses fonctions, mais en réalité l’appréciation par les juges est assez large[fn:10].
- droit de reproduction : L’auteur bénéficie d’un large pouvoir de contrôle sur la reproduction, qu’elle soit permanente ou provisoire ;
- droit de distribution : il s’épuise par le premier usage (sauf en matière de location), ainsi le titulaire de droits ne pourra plus, une fois autorisée la vente d’un exemplaire dans un État membre de l’UE, en contrôler la circulation dans les autres États membres.
Article L122-6 CPI :
« Sous réserve des dispositions de l’article L. 122-6-1, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur d’un logiciel comprend le droit d’effectuer et d’autoriser :
- La reproduction permanente ou provisoire d’un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme. Dans la mesure où le chargement, l’affichage, l’exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu’avec l’autorisation de l’auteur ;
- La traduction, l’adaptation, l’arrangement ou toute autre modification d’un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant;
- La mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit, y compris la location, du ou des exemplaires d’un logiciel par tout procédé. Toutefois, la première vente d’un exemplaire d’un logiciel dans le territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen par l’auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les Etats membres à l’exception du droit d’autoriser la location ultérieure d’un exemplaire. »
Article L121-7-1 CPI :
Le droit de divulgation reconnu à *l’agen*t mentionné au troisième alinéa de l’article L. 111-1, qui a créé une oeuvre de l’esprit dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues, s’exerce dans le respect des règles auxquelles il est soumis en sa qualité d’agent et de celles qui régissent l’organisation, le fonctionnement et l’activité de la personne publique qui l’emploie. L’agent ne peut :
- S’opposer à la modification de l’oeuvre décidée dans l’intérêt du service par l’autorité investie du pouvoir hiérarchique, lorsque cette modification ne porte pas atteinte à son honneur ou à sa réputation ;
- Exercer son droit de repentir et de retrait, sauf accord de l’autorité investie du pouvoir hiérarchique.
Dans le cadre du régime spécial applicables aux logiciels, lorsqu’il s’agit d’un agent visé à l’article L111-1 du CPI : les seuls droits moraux de l’auteur maintenus sont :
- le droit de divulgation (qui permet à l’auteur de décider du moment où l’œuvre rencontrera le public) ;
- le droit à la paternité (droit d’apposition et d’opposition qui lui permet de faire apparaître ou de cacher son nom et sa qualité à l’occasion de chaque exploitation de l’œuvre).
Tout utilisateur légitime, malgré l’existence de droits d’auteurs, a le droit :
- d’utiliser et de rectifier le logiciel[fn:11] ;
- d’effectuer une copie de sauvegarde si elle « est nécessaire pour préserver l’utilisation du logiciel »[fn:12] ;
- d’étudier, observer et tester le fonctionnement du logiciel[fn:13] ;
- de procéder à une décompilation : l’utilisateur peut récupérer le code afin de permettre que le logiciel soit inter-opérable avec d’autres[fn:14].
→ Pour ce qui est des délais de prescription : pour les droits patrimoniaux, la durée est en principe de 70 ans post mortem auctoris (le délai commence à courir à la mort du dernier des coauteurs). En revanche, le droit moral est quant à lui perpétuel[fn:15].
Pour résumer, en matière de logiciel, le droit d’auteur est aménagé via des règles particulières : dans le cadre de la protection d’un logiciel : Droits d’auteurs permet de protéger les = droits patrimoniaux (distribution et reproduction) + droits moraux (droit de divulgation + droit de paternité).
Formalisme pour la cession des droits : il faut signer un contrat.
Art. L. 131-3 CPI : La transmission des droits d’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.
→ Si ces droits sont possédés par des tiers (externes à l’administration) :
En cas de cession : on ne cède que les droits patrimoniaux, mais les droits moraux subsistent (l’auteur n’as pas de droit de retrait ou de repentir) : l’auteur ne peut s’opposer aux modifications du logiciel que s’il prouve que cela porte atteinte à son honneur et à sa réputation.
En l’absence de cession : la réutilisation ne sera possible qu’avec l’autorisation expresse de l’auteur (mais la diffusion, elle, sera libre dès lors que le droit de distribution aura été épuisé).
→ Si ces droits sont possédés par un agent public : si le logiciel a été créé dans le cadre de l’exercice de ses fonctions (appréciation très large) : les droits patrimoniaux sont automatiquement transférés à l’administration.
ATTENTION :
- cela ne fonctionne que pour les agents de l’Etat, des collectivités publiques et des établissements publics à caractère administratif ;
- cela ne concerne que les éléments protégés par le droit spécial (= code source) ;
- cela ne concerne que les droits patrimoniaux (pas le droit moral) ;
- dans le cas contraire, l’agent public doit être considéré comme un tiers.
Deux situations sont à distinguer pour les logiciels :
Pour les oeuvres, de manière générale, produites par un agent public, le régime applicable est issu de la loi du 1er août 2006 → articles L. 121-7-1, et L. 131-3-1 à L. 131-3-3 du CPI.
Pour les agents de l’Etat : ce sont les personnels civils et militaires, fonctionnaires statutaires ou employés, placés sous contrat de travail avec l’Etat français. Les agents des collectivités locales ou des établissements publics ne sont pas, sauf exception (par exemple mise à disposition), assimilés à des fonctionnaires d’Etat, quand bien même ils relèveraient des statuts de la fonction publique[fn:16].
Art. L. 131-3-1 du CPI : « Dans la mesure strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public, le droit d’exploitation d’une oeuvre créée par un agent de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues est, dès la création, cédée de plein droit à l’Etat.
Pour l’exploitation commerciale de l’oeuvre mentionnée au premier alinéa, l’Etat ne dispose envers l’agent auteur que d’un droit de préférence. Cette disposition n’est pas applicable dans le cas d’activités de recherche scientifique d’un établissement public à caractère scientifique et technologique ou d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, lorsque ces activités font l’objet d’un contrat avec une personne morale de droit privé ».
3 conditions pour la cession de plein de droit à l’Etat du droit d’exploitation d’une oeuvre créé par un agent de l’Etat :
- l’oeuvre est produite dans le cadre de l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues ;
- cette cession est strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public ;
- il n’y aura pas d’exploitation commerciale de l’oeuvre (sinon, il n’existe qu’un droit de préférence pour l’Etat).
La dévolution à l’État ne joue pas :
- pour les œuvres créées par des agents qui ne sont pas soumis au statut de la fonction publique : par exemple, celles des employés d’établissements à caractère industriel ou commercial (droit commun) ;
- pour les œuvres créées par des fonctionnaires dans une activité distincte des fonctions résultant de l’emploi statutaire (l’oeuvre n’a aucun lien avec la mission de service public et elle en est détachable, ou elle n’est pas en concurrence avec celui-ci).
Art. L. 111-1 CPI al 4 :
« Les dispositions des articles L. 121-7-1 et L. 131-3-1 à L. 131-3-3 ne s’appliquent pas aux agents auteurs d’œuvres dont la divulgation n’est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique. »
Cette formule renvoie essentiellement aux professeurs et universitaires[fn:17]. Il existe une « tolérance traditionnelle » pour les manuels et traités rédigés par eux dans leur domaine de compétence[fn:18].
Un EPST ou une université, ne peut donc pas, pour l’accomplissement de sa mission de service public, bénéficier du mécanisme de cession automatique des droits d’exploitation sur les œuvres générées par ses chercheurs ou enseignants-chercheurs participant à des travaux de recherche (y compris les logiciels).
- Bertrand (A. R.), « Chapitre 105 – Auteur et titulaires des droits d’auteur » et « Chapitre 202 – Logiciels », Droit d’auteur 2011/2012, Editions Dalloz, 2010
- Bensamoun (A.) et Groffe (J.) « Création numérique » [en ligne], Répertoire de droit civil, Octobre 2013 [actualisé en juin 2014].
- Dantant (M.), « Droit d’auteur des chercheurs, Logiciels, Bases de Données et Archives Ouvertes » [en ligne], CNRS / Direction des affaires juridiques, 7 juillet 2014 [consulté le 12 juin 2019], disponible à cette adresse.
- Code de la propriété intellectuelle (version au 12 juin 2019).
- Directive du 14 mai 1991 n°91/250, remplacée par la Directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur.
- Loi n° 2006-961 du 1 août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information.
[fn:1] Directive du 14 mai 1991 (cons. 14) « /les idées et principes qui sont à la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation ne sont pas protégés en vertu de la présente directive /»
[fn:2] CJUE 2 mai 2012, SAS Institute Inc. c/ World Programming Ltd., aff. C-406/10
[fn:3] Civ. 1ère, 13 déc. 2005, n° 03-21.154
[fn:4] Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens (art. 52.2, qui figure à l’article L. 611-10, 2° CPI)
[fn:5] CJUE 22 déc. 2010, Bezpecnostní softwarová asociace c/ Svaz softwarové ochrany, aff. C-393/09, RTD com. 2011. 333, obs. Pollaud-Dulian
[fn:6] Cass., ass. plén., 7 mars 1986, Babolat c/ Pachot, n°83-10.477
[fn:7] art. 2.2 de la directive du 14 mai 1991
[fn:8] art. L. 131-4, 5° CPI, sous réserve de art. L. 131-5 CPI (en cas de lésion ou de prévision insuffisante des produits de l’œuvre)
[fn:9] art. L. 131-3 CPI
[fn:10] CA Nancy, 1er ch., 13 septembre 1994 : le logiciel créé par un salarié grâce au matériel de l’employeur même en dehors de ses heures de travail emporte l’application de cette disposition
[fn:11] Art. L. 122-6-1, I, CPI
[fn:12] Art. L. 122-6-1, II CPI
[fn:13] Art. L. 122-6-1, III CPI
[fn:14] Art. L. 122-6-1, IV CPI
[fn:15] Art. L. 121-3, al. 3 CPI
[fn:16] www.impots.gouv.fr
[fn:17] André R. Bertrand, « Chapitre 105 – Auteur et titulaires des droits d’auteur », 2010
[fn:18] C. Bernault, « Le droit d’auteur des enseignants : l’enseignant est-il un fonctionnaire « comme les autres » ? », CCE mars 2010 no 3 p. 7 § 6. Lorsque l’enseignant est lié à établissement privé le droit commun s’applique, et la cession des droits à l’employeur doit pour être valide se conformer au formalisme de l’article L. 131-3 du CPI (Crim. 22 sept. 2009, no 09-81.014 , CCE févr. 2010 no 2 p. 34 § 13 note Caron).